J'ai découvert récemment un auteur merveilleux : Anthony de Mello (1931-1987). Il a été publié après sa mort. Dans son ouvrage "Appel à l'amour", Anthony de Mello bouscule les idées reçues. Il nous propose une autre façon de voir les choses, indispensable selon lui, à quiconque souhaite contribuer à édifier une société plus humaine, plus vraie, société dans laquelle l'authenticité est indispensable pour être heureux. Ce livre contenant 31 méditations nous invite à nous dépouiller de tout système "corrompu" : nos idées reçues, nos convictions profondes modelées par notre société, notre vécu, notre éducation, notre culture, de toute idéologie, de toute dépendance, et à naître ainsi à l'amour, à la liberté et à la solitude. Il peut paraître étrange d'évoquer la solitude qui est ici, étroitement liée à l'indépendance comme une fin en soi, comme une libération. C'est pourtant ce que nous propose Anthony de Mello avec beaucoup de sagesse.
Si je devais choisir une seule méditation dans "Appel à l'amour", alors je choisirais la méditation 23. Elle m'a beaucoup touchée. Je vous propose de la découvrir ci-dessous, de prendre le temps de vous en imprégner, de la lire et relire éventuellement avant de vous endormir afin de laisser les méandres de votre inconscient faire un travail de fond et de vous laisser embarquer par les mots pleins de douceur envers soi d'Anthony de Mello.
Vingt-troisième méditation
"Avez-vous déjà remarqué que vous ne pouviez aimer que dans la solitude ? Que veut dire aimer ? Aimer veut dire, voir une personne, une chose, une situation telle qu'elle est et non pas telle qu'on l'imagine, c'est-à-dire réagir à cette personne, à cette chose ou à cette situation de manière appropriée. Il est impossible d'aimer ce qu'on ne voit pas.
Qu'est-ce qui vous empêche de voir ? Vos concepts, vos catégories, vos projections, vos besoins, vos attachements, les étiquettes provenant de votre conditionnement. Voir est l'entreprise la plus difficile qui soit pour un être humain. Cela exige un esprit alerte et discipliné. Pourtant, la plupart des gens préfèrent s'abandonner à la paresse mentale plutôt que de voir chaque personne et chaque chose dans la fraicheur du moment présent.
S'affranchir de son conditionnement - dans le but de voir - est extrêmement difficile. Mais voir exige une décision encore plus douloureuse. Celle de rompre avec l'autorité que la société exerce ; une autorité dont les tentacules pénètrent jusqu'aux racines mêmes de l'être. Ce qui explique pourquoi rompre avec l'autorité équivaut à se déchirer soi-même.
Pour bien comprendre cela, songez à l'enfant à qui l'on offre de la drogue. Tandis que la drogue s'infiltre dans son organisme, l'enfant développe une accoutumance et tout son être réclame dès lors cette drogue. Etre privé de ce poison est un supplice si insupportable que la mort lui semble préférable.
C'est ce que la société vous a fait quand vous étiez enfant. On ne vous a pas permis de goûter aux aliments solides et nutritifs de la vie : travail, jeu, compagnie de vos pairs, plaisirs de l'esprit et des sens. On a instillé en vous des drogues que l'on appelle Approbation, Appréciation et Attention; et d'autres poisons que l'on appelle Réussite, Prestige et Pouvoir. Après avoir goûté à cela, vous avez développé une accoutumance et vous vous êtes mis à redouter le manque. Rempli de terreur à la perspective de l'échec, de l'erreur, des critiques d'autrui, vous êtes devenu lâche, dépendant, et vous avez perdu votre liberté. Les autres ont le pouvoir de vous rendre heureux ou misérables et, bien que vous détestiez les souffrances que cela entraine, vous vous sentez totalement impuissant devant eux. Consciemment ou inconsciemment, vous êtes toujours en accord avec leurs réactions, vous ne cessez de vous plier à leurs demandes. Lorsque les autres vous ignorent ou vous désapprouvent, vous vous sentez si insupportablement seuls que vous rampez devant eux et quémandez ces consolations que l'on appelle Appui, Encouragement et Réconfort. Vivre avec les autres dans de telles conditions crée une tension continuelle, mais vivre sans eux signifie connaître les tourments de la solitude. Vous avez perdu votre capacité de voir les autres tels qu'ils sont et vous comporter adéquatement envers eux, car votre perception est obnubilée par votre besoin de drogue.
Le résultat de cette conduite est à la fois terrifiant et incontournable : il vous est d'ailleurs devenu impossible d'aimer qui ou quoi que ce soit. Pour redevenir capable d'aimer, vous devez réapprendre à voir, et vous ne pourrez voir que si vous rennoncez à votre drogue. Vous devez arracher de votre être les racines de la société qui ont pénétré si profondément en vous. Vous devez vivre en marge de la société. Extérieurement, tout continuera à se dérouler comme par le passé, vous vivrez dans ce monde, mais vous n'en ferez plus partie. Dans votre coeur vous serez enfin libre et tout à fait seul. Ce n'est que dans cette solitude, cette solitude complète, que le désir et la dépendance mourront et que la capacité d'aimer jaillira. Car vous ne verrez plus les autres comme un moyen de satisfaire votre accoutumance.
Seul celui qui a fait cette expérience connaît la terreur que ce processus peut engendrer. C'est comme si l'on s'invitait à mourir. C'est comme si l'on demandait au pauvre drogué de renoncer au seul bonheur qu'il ait jamais connu pour essayer d'apprécier le pain, les fruits, l'air pur et frais du matin ou le son mélodieux d'un ruisseau de montagne, tout cela tandis qu'il s'efforce de surmonter le malaise de la privation et le sentiment de vide qu'il éprouve quand il est privé de sa drogue. Rien ne peut combler ce vide dans son esprit fiévreux, excepté sa drogue. Imaginez une vie dans laquelle vous refusez de savourer les paroles de d'approbation et de reconnaissance, de vous appuyer sur quelqu'un, une vie dans laquelle vous ne dépendez de personne sur le plan émotionnel, de sorte que plus personne n'a le pouvoir de vous rendre heureux ou misérable, une vie dans laquelle vous refusez d'avoir besoin de qui que ce soit. Les oiseaux ont leur nid et les renards leur terrier, mais vous n'avez nul endroit où poser votre tête pendant votre voyage à travers la vie.
Si un jour vous en arrivez là, vous saurez enfin ce que signifie une vision claire, non troublée par la peur ou le désir. Vous saurez également ce que veut dire aimer. Mais arriver à ce pays de l'amour, il vous faudra d'abord traverser les douleurs de la mort. Car pour aimer un être, il faut d'abord se débarasser du besoin que l'on a de cet être ; il faut être complètement seul.
Comment en arriver là ? Par une conscience toujours en éveil. Par la patience et la compassion sans bornes que vous auriez pour un drogué. Il serait bon aussi que vous entrepreniez des activités engageant tout votre être, des activités pour lesquelles vous avez une telle passion que, lorsque vous les pratiquez , le succés, la reconnaissance, l'approbation vous sont totalement indifférents. Retourner à la Nature serait tout aussi souhaitable. Quittez la foule, allez dans la montagne, communiez dans le silence avec les arbres, les fleurs, les animaux, les oiseaux, la mer, le ciel, les nuages et les étoiles. C'est là que vous comprendrez que c'est votre coeur qui vous a conduit dans le vaste désert de la solitude. Il n'y aura personne à vos côtés, absolument personne. Au début, cela vous paraîtra insupportable, car vous n'êtes pas habitué à la solitude, mais après quelque temps, le désert s'épanouira et se transformera en Amour. Votre coeur se mettra tout à coup à chanter, et le printemps règnera pour toujours.
Cette douce mélodie ou une autre pourrait accompagner la lecture de cette méditation et ainsi favoriser votre introspection. Acquérir l'indépendance et la solitude pour ainsi (re)naître à l'amour, telle est la conviction profonde d'Anthony de Mello.
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